mercredi 25 février 2009

L'ethique à Françou

Ethique et esthétique ou « l’éthique à Françou »

Dans le Neveu de Rameau, Le Neveu et Diderot débattent des hommes de génie.
Positif à son habitude, Diderot juge que leur utilité pour l’humanité vaut bien qu’on leur pardonne leur singularité, voire d’être éventuellement « d’un commerce, dur, difficile, épineux, insupportable , voire méchant homme… »
Le Neveu « Rameau le petit ! »(bien que fasciné par son oncle, Rameau Le grand ! et douloureusement envieux de son talent) affirme que "des hommes de génie, il n’en faut point !!!"
« [Son oncle] ne pense qu’à lui ; le reste de l’univers lui est comme un clou à soufflet. Sa fille et sa femme n’ont qu’à mourir quand elles voudront, pourvu que les cloches de la paroisse qu’on sonnera pour elles continuent de résonner la douzième et le dix-septième, tout sera bien…
Les homme de génie ne sont bons qu’à une chose ; passé cela, rien ; ils ne savent pas ce que c’est d’ être citoyens , pères, mères , frères, parents, amis. ..
Il faudrait les étouffer au berceau !!!! »
(Le Neveu de Rameau, p.400 ed.Garnier)

Dialogue plein de savoureuses outrances, qui me donne aussi à penser…
Que le bon Denis Diderot, dont les biographes s’accordent à louer la gentillesse, veuille bien me le pardonner, je ne souscris ni à son indulgence à l’égard des génies ni à la solution radicale, plus paradoxale que sincère, du Neveu.
En fait je me rends compte que je suis incapable de dissocier le talent et la bonté, l’art et l’éthique, la beauté et la tendresse, l’intelligence et la sensibilité .
Nous avons la chance de connaître « en vrai » quelques musiciens que nous apprécions particulièrement : ils s’appellent Jacques, Philippe, Bruno, Florian, Annie Christine…
Tous me semblent posséder la forme la plus discrète, légère, et conviviale, de la bonté : la « gentillesse » : quand ils chantent, quand ils jouent, ils semblent désireux de nous faire plaisir, attendre avec une petite anxiété timide de savoir s’ils y ont réussi . Ils semblent touchés,( ou accepter gentiment)qu’on les aiment, qu’on les admirent et qu’on soit heureux en les écoutant.
Ils expriment souvent une conception « romantique » de la musique, « cri de lame », expression de la joie ou de la souffrance, ou don de Dieu à distribuer, ou plus simplement plaisir profane à communiquer aux autres.
Quand ils jouent avec leurs partenaires, ils les écoutent avec une bienveillante attention parfois même une grande émotion, en faisant place à leur musique…

Pour certains autres que nous aimons avec passion, trop célèbres, ou trop loin de nous, pour que nous ayons le privilège de les connaître « en vrai », nous devons nous satisfaire de fréquenter avec constance leurs albums, leurs concerts, leurs sites Internet, d’écouter encore et encore leur musique, de lire les présentations de leurs disques, de regarder leurs vidéos et leurs interviews: ils s’appellent Galliano bien sûr, mais aussi Amestoy, Raul Barboza, à un degré moindre IanLundgren…
Peut-être est-ce une illusion, mais ceux-là me paraissent faire preuve de la même générosité quand ils jouent, du même désir de partager le bonheur d’être musiciens, avec nous (« vers de terre amoureux d’une étoile !! »)et avec les autres musiciens .
Pour preuve, quelques souvenirs : le regard d’Amestoy , tourné vers les autres accordéonistes en train de jouer , Galliano se mettant en retrait pour écouter ou laisser la première place à M.Lubenov, puis soutenant sa musique de la sienne ;Galliano encore, saisi d’émotion jusqu’aux larmes en écoutant A .Cardenas chanter Historia de un amor, ou en interprétant une Gnossienne de Satie,et encore rappelant Nougaro et Barbara.
Je pense que ce mélange de « génie » (pour reprendre les termes de Diderot) et de sensibilité me les rendent plus « aimables », et augmentent ma joie de les écouter.

Et je crois en toute modestie avoir connu dans mon métier ce plaisir délicieux de partager joyeusement une émotion esthétique : moments forts et précieux dont le souvenir me donne toujours envie de pleurer : une lecture d’Eluard ou de Baudelaire dans une classe surchauffée et surchargée de Lycée, la réussite inspirée d’une création de marionnettes, où un enfant de douze ans aujourd’hui disparu, chante comme un ange une chanson qu’il a composée,une classe de CM2 pourtant instable et bruyante, discutant avec passion du dénouement de Comment Wang fô fut sauvé, ou la jubilation d’une petite fille de presque six ans découvrant qu’elle peut lire une phrase entière ; ou encore un gamin de cinquième, volontaire, après l’audition des stances du Cid par G.Philippe, pour en donner, de sa voix légèrement voilée d’adolescent, , une récitation personnelle, à mon sens d’une justesse et d’une délicatesse largement dignes de son modèle, toute la classe (40 élèves)l'écoutant,subjuguée ...; une élève dite en difficulté découvrant que ce qui est écrit, c’est quelque chose de la vie et demandant qu’on lui écrive encore et encore quelque chose !

samedi 14 février 2009

Le matin des musiciens, transcription et création en musique et ailleurs

Le matin du 20 janvier, Corinne Schneider recevait Youri Shishkin dans Le matin des musiciens. …

Une très intéressante présentation ; elle me semble exceller à faire parler ses invités et met en valeur ce qu’ils disent de leur travail, de leur passion.
Ce qui m’intéressait aujourd’hui dans le travail de Youri Shishkin, c’était l’importance et l’intérêt qu’il portait à la « transcription » des œuvres pour son instrument.
Elle lui demandait s’il « composait », et il reconnaissait que non, réaffirmant qu’il transposait seulement.

Et je pensais à l’interrogation constante en littérature et dans l’enseignement, sur ce qu’est la création, ou l’invention. Cette question recoupe la question de l’ « originalité » si sensible dans le romantisme et celle de l’ « inspiration ».
« Ne copie pas ! Tu l’as inventé tout seul ? » telles sont les injonctions et les questions insidieuses que l’on oppose à l’écolier en train d’écrire ou d’imaginer…Imiter est en somme une infraction à la propriété privée…

Créer, est-ce forcément inventer à partir de rien ? N’y a-t-il pas imitation constante ?les classiques » n’ont-ils pas revendiqué cette imitation comme la manne nourricière de leurs œuvres ?

Faut-il comme le dit un musicien que j’adore par ailleurs, éviter d’écouter les autres jouer de peur de la « contamination d’un air inconnu »,et s’en aller courbé sur son seul instrument ?

L’intérêt de la transposition ou de la transcription pour une œuvre est de lui offrir une seconde vie, d’être reçue autrement, ailleurs, ou par d’autres auditeurs.

Comme la traduction permet connaître l’Iliade ou le romancero, comme l’adaptation permet aux enfants de lire les Misérables, la transcription des tableaux d’une exposition en est une nouvelle lecture qui en renouvelle l’accès et le plaisir d’écoute, pour moi en tous cas.

Alors à nos enfants, il faut plutôt dire, empruntez, transformez, prenez et changez !
D’autres créateurs et non des moindres l’ont fait avant vous ! Ils avaient nom Ronsard, Molière ou Ravel !

vendredi 13 février 2009

Rencontres du « hasard objectif »Apollinaire Galliano Nougaro et les autres


… Apollinaire,
Je prends ma retraite pour la deuxième fois
Pour la deuxième fois, je prends congé des vieux complices de ma vie professionnelle, Luc, Patrick, Gilles, Jean Luc.
Pour la deuxième fois c’est mon ami Gilles qui assure la partition littéraire des adieux.
Mes charmants « boys » m’ont offert un Apollinaire dans la collection de la Pléiade
Beau cadeau pour un adieu…
Je n’aimais pas autrefois ces éditions luxueuses discrètes et fragiles .Maintenant je raffole de ce papier si tendre aux doigts et de ce petit format léger de missel qu’on lit au lit sans se fatiguer le poignet.
Et tous les soirs donc je m’en lis un petit morceau, du déjà connu, ou du nouveau, et la musique des mots si légère et si scandée, si régulière et si irrégulière me conduit doucement à l’enfoncement du sommeil .

Richard Galliano
Et voilà que R.Galliano sort un disque avec le Brussels Jazz orchestra, il semble y rêver sur son passé sans mélancolie, mais pour s’en enchanter, comme Rousseau dans ses rêveries…
«
Tous les titres dans ce disque évoquent des moments forts de ma vie »
Et en ouvrant la pochette ; j’y découvre, de sa grande et belle écriture, Le pont Mirabeau, la vie s’en va comme cette eau courante…

Claude Nougaro
Et dans ce disque un morceau qui me fait toujours pleurer , « Tango pour Claude » et la voix de Nougaro « vie, violence »se mêle dans mon âme avec le son unique de R.Galliano et la musique d’Apollinaire .
« Comme la vie est lente
Et comme l’Espérance est vio-lente »…
Quelle belle rencontre, sous le pont de nos bras passe des éternels regards l’onde si lasse

jeudi 12 février 2009

Amateur d'art, amateur de musique, amateur d'accordéon, qui es-tu?

On nous demande souvent, d’un air entendu : « vous jouez de l’accordéon. .. ? »

Demande –t-on à l’aficionado s’il torée ? au lecteur de romans s’il en écrit ? au passionné de peinture si « lui aussi est peintre » ?
Passionnée d’histoires, je jalouse à jamais ceux qui ont le pouvoir de les inventer, décidée à les suivre toujours…
Bien sûr, je suis fascinée par tous ceux qui ont le talent d‘interpréter, de composer, d’inventer, de chanter, ou de conduire des chants, et je me sens toujours ravie comme une enfant, s’il m’est donné de les fréquenter …
Mais quoi que je bricole en dessin, en écriture, en photographie…je sais bien que pour moi le seul vrai plaisir esthétique est toujours celui du spectateur.

L’aficionado et l’amateur aiment, l’amateur de musique écoute, écoute, écoute, et suit, enchanté, comme la foule envoûtée suivait le joueur de flûte, la trace des joueurs magiques, de concert en concert.
A quoi tient qu’il aime retrouver non les morceaux mais les standards que le musicien interprète, et aime en retrouver le titre?
Il ne s’agit pas réellement de reconnaître, puisque ce n’est jamais ni tout à fait le même ni tout fait un autre.
Il ne s’agit pas non plus de cuistrerie ni du plaisir intellectuel d’un savoir culturel, c’est un plaisir esthétique : reconnue, la mélodie ouvre un horizon d’attente, une délicieuse anticipation du retour des notes connues et aimées entre les méandres de la variation et les surprises de l’improvisation.
C’est le fil d’Ariane, dans le labyrinthe de l’émotion esthétique où l’on se retrouve …ou l’on se perd.

Je fais le souhait que l’Ecole élève des amateurs d’art. Je connais des enseignants qui conduisent leurs élèves au musée, au concert, sans histoire, et sans compte rendu obligé !!!
Je pense qu’on pourrait en outre organiser quotidiennement une familiarité avec des œuvres d’art : afficher, exposer des reproductions de tableaux, écouter un petit peu de musique à moments « rompus »si on peut dire…comme font nos enfants sur leurs baladeurs avec leur musique favorite. Assurer en quelque sorte une présence de l’art,du patrimoine ou d’une culture différente de celle qu’ils fréquentent spontanément , un peu à la manière de l’émission D’ART D’ART, avec une présentation ou une invite à commenter, discrètes plus que discrètes…

mercredi 11 février 2009

Les rêveries d'une écolière divagatrice


Je divague et m’éloigne mais toujours je reviens, à l’Ecole, aux écoliers, aux maîtres d’école, à la pédagogie, à l’éducation, à la littérature…
Quand j’étais élève, puis enseignante, puis formatrice, toujours j’ai aimé appartenir à mon école, à ma classe, puis à l’équipe de mes collègues, puis au groupe de mes élèves en formation.
Ces groupes étaient pour moi chaleur, échanges, parfois conflits, travail partagé, projets, gaîté, soucis, la vie en somme…
En même temps je n’ai jamais aimé appartenir tout à fait à des groupes …
J’ai mené ou suivi des actions syndicales, mais mon adhésion était chaque année pensée, pesée, pas systématique… et élue au conseil d’administration, je me suis souvent pris les pieds dans les lacets du « qui je représente ? Les collègues qui m’ont élue ? « L’appareil » et les mots d’ordre du syndicat ? Moi- même (horreur aux yeux du Syndicat) ? Et ne pouvant me déprendre de mon individualité propre, j’ai mené ces missions de représentation tout de guingois
J’ai admiré et admire encore la sagacité de Célestin Freinet, mais peu les groupes pédagogiques de son église, tout en militant auprès de mes stagiaires pour sa conception pédagogique…, de guingois, toujours de guingois !!!
J’ai été formateur avec implication et la conviction que la formation des enseignants était chose fondamentale, mais sans me reconnaître vraiment dans les « professeurs d’iufm », bien que souffrant toutefois des reproches qu’on leur adresse, moi qui suis si peu didactitienne, si peu semblable à la plupart d’entre eux.

Maintenant que me voilà retraitée, je fuis les associations et les lieux qui me rappelleraient mon cher travail défunt mais voilà que mes pas me ramènent toujours à l’éducation, à l’apprentissage et à la littérature, au rôle de l’art dans notre vie, et peu de jours passent sans que je me dise : ne faudrait-il pas faire ça ou comme ça à l’école, en lecture, en écriture, à la maternelle …

Que diable vient faire Galliano dans cette galère ?

Je dois sa découverte à une divagation affectueusement consentie à mon compagnon qui s’est pris de passion à l’heure de la retraite pour l’accordéon, pour des raisons sans doute divagatrices lui aussi। Philosophe de « l’Esthétique », amateur de peinture et de photographie, il se passionne pour cet instrument atypique!!!


Et nous voilà partis un 2 janvier froid et « givré » (on ne peut mieux dire) vers Tulle, où justement ne se tient pour l’heure aucun concert, où bon nombre d’hôtels sont fermés, mais où se visite la manufacture Maugein, militante et attachante...



Je n’aimais que le piano, le violoncelle, la musique romantique et les opéras de Mozart, de Rossini et d’Offenbach, et je me promenais en dilettante dans la chaleur des musiques « latines », musique populaire italienne, chants de la guerre d’Espagne, musique d’Amérique du Sud, cueillant et grappillant des mélodies à enchantement variable…


Et me voilà partie avec Michel sur des chemins de traverse… « chemineaux » de l’accordéon …

Et voilà que je découvre ainsi Richard Galliano et que je trouve en lui un divagateur de génie, divaguant, son accordéon aux épaules, loin des sentiers tracés, mais connaissant tous les chemins d’accordéon, faisant du jazz sans être jazzy, du tango sans danser, du musette sans musette, et pourtant connaissant admirablement la musique et nous la renvoyant dans un son somptueux, sans autre forme d’histoire, en toute simplicité.


J’aime même son site sans histoire et ce poème touchant d’un gamin qu’il y affiche en toute simplicité…
J’aime ce que je comprends de sa conception de la musique, parce qu’elle rejoint me semble-t-il celle que j’ai de la littérature.
Et surtout j’aime sa musique que je qualifierais si je l’osais de « vitale »…



J’aime enfin son vagabondage qui m’a permis aussi avec et grâce à Michel, de nous balader pour le suivre de lieux de France en lieux de France un peu, beaucoup , un peu plus loin, une fois de plus, une fois encore…
Il a dit quelque part qu’il rêvait jadis de vivre de son accordéon et d’aller de ville en ville, son accordéon sur l’épaule, tel un baladin d’autrefois…de rencontre en rencontre। Je crois qu’il y a réussi…dans l’âge mûr…
Moi j’ai souvent rêvé d’aller main dans la main de ville en ville et d’y suivre ma rêverie Je n’ai pas les mêmes moyens esthétiques ni financiers que R.G (aujourd’hui) ni sans doute autant d’esprit d’aventure mais nos promenades musicales comblent un peu ce rêve de jeunesse, de courir avec un compagnon les villes et les champs …à la suite des joueurs d’accordéon !!!