jeudi 29 avril 2010

Richard Galliano : « J’ai rendez-vous avec vous ! »

J’aime –évidemment, direz-vous !- le nouvel album , consacré à Bach.

J’ai bien conscience qu’il agace ou déplaît à quelques chevaliers du Pré Carré de la musique classique….
Mais moi qui ne suis qu’une écouteuse de musique, attentive et passionnée, mais pas une « vraie amateur de Bach », j’avoue que l’accordéon, l’accordina et le bandonéon de Richard Galliano me donnent à réentendre des « tubes » que j’aime, me conduisent à réécouter divers enregistrements que j’en avais, à en comparer les sonorités et à conclure encore une fois que j’aime ce son-là …

Je laisse à Michel le soin d’en parler…ICI. Je ne peux dire mieux…

Je dirai seulement que ce qui m’émeut c’est la ligne claire, simple et dépouillée que cette interprétation donne à la phrase mélodique….la plénitude et la sérénité que j’en ressens…


Mais ce que je voudrais dire, c’est qu’en même temps qu’une interprétation qui me touche d’une musique que j’aime, c’est le projet de musicien de Richard Galliano qui me fascine et m’émeut…
Une fidélité tenace à un musicien qu’on aime depuis toujours, depuis l’adolescence…
Un mélange d’audace et timidité devant l’entreprise : il affirme avec un tranquille culot qu’il veut donner par l’accordéon un sang nouveau à cette musique …en même temps avec une sorte de respect scrupuleux, il s’impose de respecter note à note la partition de son maître pour lui rendre son bien, « la musique pure », …sans rajout ni modification, ni ces fioritures de « virtuosité, faciles(!) à l’accordéon » …

Interrogé sur France Inter mardi matin, il me paraît au début de l’entretien, fort bien mené d’ailleurs, comme un peu embarrassé et hésitant d’abord , et puis se met à parler avec justesse et résolution de ce projet qui lui tient si fort au cœur, comme peut-être jadis le projet de « Piazzolla for ever », partagé d’ailleurs avec les mêmes musiciens…
Ces musiciens, il les présente chaleureusement, comme de grands musiciens qui, aujourd’hui comme alors, lui offrent avec leur collaboration, leur approbation pour son choix : le son de l’accordéon pour la musique de Bach. Ils trouvent que ça sonne bien, c’est une « évidence », et c’est là la récompense, l’approbation des vrais musiciens et du public !

Et une petite phrase trouve en moi une résonance : il parle de ses concerts comme d’un RENDEZ-VOUS, d’amour(!) avec les autres musiciens et le public… un rendez-vous vital, où les musiciens trouvent « leur nourriture chaque soir », C’est pour cela qu’ils continuent ! En dépit des difficultés à s’y rendre, en dépit de la fatigue du voyage, ils continuent à aller à ce rendez-vous où ils puisent l’énergie « qu’ils ont entre eux et avec le public»
Et je dis à Michel, c’est un peu comme nous, en somme…
Au fil des années, nous trouvons un peu plus fatigant, un peu plus coûteux en frais et en énergie, de courir écouter ces musiciens que nous aimons…
Mais malgré tout, on y va, parce qu’en fait c’est comme si on avait un RENDEZ-VOUS précieux…d’ailleurs on s’y prépare, on pense à la route à faire, à ses fringues, à l’hôtel à retenir…Et puis on écoute et réécoute les disques qu’on a de la formation qu’on va écouter, « on révise », pour le plaisir de mieux reconnaître la musique aimée…
Et pour un temps...
"Tout le restant m'indiffère,
J'ai rendez-vous avec vous!!!"

Et surtout on espère, on espère bien être là AU RENDEZ-VOUS… !!!!!
Il y en a quelques-uns qu’on a manqués pour des raisons « de force majeure »…

On s’en remet difficilement !!!




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mercredi 28 avril 2010

Yves Saint Laurent : les rêves et la vie

A l’occasion d’une rétrospective au Petit Palais de l’œuvre d’Yves Saint Laurent, une excellente émission lui fut consacrée sur La 5.
On y voit le jeune garçon, tout entier dans son rêve, jouer dès l’enfance à créer des modèles, emplir des carnets d’écolier de longues silhouettes de femmes, vêtues de ses créations.
Une page de ses cahiers me séduit particulièrement , celle où il note les commandes imaginaires de personnalités prestigieuses, leur devis, le délai de livraison…
Ainsi jouait-il vers 10-11 ans…
Ainsi jouons nous « à la styliste » avec ma petite Charlotte : je suis son amie, elle crée des modèles pour une grande maison de couture, dessine à ma demande sur un carnet des vêtements , « à porter à telle occasion », « dans telle teinte de préférence », « plus longue », « plus courte », « choisissons l’imprimé, le chapeau, les gants »…gommons redessinons, corrigeons, transformons….estimons les coûts , le délai de réalisation…
J’aime ce jeu qui me rend à ma propre enfance…
Ainsi jouai-je à l’âge de 11ans…
J’avais commencé par créer des vêtements pour ma poupée « Françoise ». Le père noël me l’avait apportée avec une petite machine à coudre pour mon dixième noël.
C’était une poupée de Modes et Travaux, les abonnés recevaient en encart des patrons pour ses vêtements… Je coupais, assemblais, cousais, et…modifiais,… car en cuisine comme ailleurs, je n’ai jamais pu suivre exactement une recette donnée. C’est ce que mes filles appellent « la façon Mamou »…
Plus grande, je me mis moi aussi à dessiner mes créations, à remplir des cahiers entiers de jeunes femmes longilignes, aux longs cheveux et aux yeux en amande …
C’était l’époque où ma mère nous fabriquait robes, chemisiers et manteaux…elle taillait, assemblait, ma grand mère l’aidait à coudre…
Plus tard ce fut une couturière « Coco »( !!!...abréviation de son nom de famille !!!), qui venait le mercredi après midi faire de la couture : elle cousait bien, abattait de la besogne, mais selon ma mère « elle n’avait pas d’idée !!! »
Souvent alors le mercredi après midi l’escalier retentissaient d’appels : « Chanel !!! Viens voir !! »
J’accourrais, pas peu fière de ma réputation, pour donner mon avis sur l’arrondi d’une ourlet, creuser une pince, remonter une échancrure, rajuster un aplomb…j’adorais faire ça…
ET vint Yves st Laurent : j’avais douze ans lorsqu’on appela à la succession de Dior ce tout jeune homme mince, aux yeux bruns. Il n’était pas « mignon » suivant mes canons d’alors (Robert Taylor et Alain Delon)…Mais il me fit pourtant rêver autant que le prince Charmant, de son talent, de son destin fabuleux, de ses créations dignes de Chanel qui incarnait jusqu’alors mon idéal …

Bien évidemment, dans ma famille mon talent ne fut jamais qu’un jeu. Comment mes parents auraient-ils pu concevoir de me lancer dans un métier aussi aléatoire, et malgré les grandes féministes qui le pratiquèrent, aussi peu féministe, marqué qu’il était par les mulièbres travaux de toutes les lingères, couturières à façon, brodeuses, petites mains de la destinée féminine…
Je passais donc l’école Normale pour devenir professeur. J’y croisais encore mon fantasme, en la personne d’une petite prof de couture. Car en ce laïque couvent, on apprenait le chant et la couture. Mais cette jeunette prof , à peine plus âgée que nous, plutôt que de nous enseigner le surjet et la pièce à coins carrés, nous apprit à faire des patrons à notre « forme », ce qui nous enchanta et me permit pendant quelques années d’inventer et me fabriquer robes et ensembles qui complétaient agréablement une garde robe assez spartiate par ailleurs…
J’avoue, que si je suis ravie par le talent de Charlotte à dessiner et à inventer à son tour modèles et tenues, pas plus que mes parents, je n’envisage d’inciter ses parents à le cultiver …Je suis plus encline , je le sens bien, à insister sur son goût de la musique et sur la justesse et la beauté de sa voix et son implication résolue dans sa chorale…

Alors ressurgit pour moi une question que je me suis souvent posée , en littérature en particulier et en art en général.
Qu’est-ce qui fait la différence entre un certain talent et un goût prononcé voire parfois obstiné, et un destin d’artiste ?
Il y a bien sûr le degré du talent, il y a la « culture familiale », il y a le rôle des parents, il y a les hasards de la vie …
Bien sûr, je suis tentée de dire parfois : « si mes parents…si…si…et si ...»
Mais je pense qu’il y faut aussi une concentration exclusive de sa vie et de ses forces sur son projet unique, le renoncement à un certain équilibre de vie qui se joue dans la variété et la diversité des projets, un anti-dilettantisme en somme…
Parfois quand je contemple la mer des heures, ou qu’après une longue marche en raquettes on découvre l’étagement des vallées, et les arbres givrés, quand prenant ma voiture j’ai l’impression de partir librement à l’aventure…quand je joue avec les petites à la styliste, à l’école , quand je cours aux vagues et à l’écume, je pense à Galliano et je me dis : connaît-il ces petits plaisirs là ?
Souffre-t-il de ne pas les connaître ?
Selon Epicure (traduction libre par Michel) : « Tant de choses qu’il ignore et ne (?)souffre pas d’ignorer ... »
Et j’ajouterai : « Tant de choses que je souffrirais(?) d’ignorer… »…….


Une pensée pour A-Ch, mon amie, qui a une voix de rossignol, qu’elle cultive avec passion et tenacité, et qui me dit, un jour que je lui demandais pourquoi elle n’avait pas tenté de faire carrière de soprano :
« C’était ça, ou les enfants , ou le métier simple que je fais bien et que j’aime aussi… »




mardi 13 avril 2010

Histoire d'enfance

Il se trouve par hasard que j'ai assisté ou participé ces derniers jours à de petites chamailleries fraternelles et délicieuses.
Du coup je me suis décidée à raconter le texte que voici, que je ruminais depuis longtemps:
Le premier au fond du jardin !!!Nous habitions à ce moment là une maison de quatre pièces, avec une cuisine en appentis, un puits , un vaste cellier, un jardin devant avec des buis et deux palmiers, genre début de » siècle . Elle s’appelait « Cité Alice » en raison peut-être du fait qu’un deuxième appartement, plus modeste, totalement indépendant, s’adossait à son mur arrière…
Cette maison m’enchantait.
Ma mère aussi d’ailleurs, car en obtenir la location fut une aubaine : c’était encore l’après guerre et trouver une location, en dépit du fait qu’on avait des enfants, « qui dégradent toujours, Madame », et malgré le fait que «bien sûr, bien sûr...» on était fonctionnaire!!! , relevait du parcours d’obstacles, de la négociation obstinée ; bref, nous pûmes louer « Cité Alice » à des propriétaires charmants, qui ne mirent comme condition que de garder la jouissance de leur potager.


Celui-ci était un vaste terrain très sablonneux tout en longueur, partagé par une longue allée rectiligne qui conduisait à un portail vert, toujours fermé d’ailleurs ..
A condition de ne pas nuire aux platebandes, l’accès en était autorisé…
La grande allée était donc notre terrain de jeu favori.
La petite troupe d’enfants de la « cité » et du quartier était répartie sur deux tranches d’âge : les grands, nés avant la guerre, et les petits dont j’étais, fruits de la fin de la guerre…
En ces temps de peu de jouets, dès qu’il faisait beau, les jeux de la rue, trappe-trappe, ballon prisonnier, vélos, occupaient toutes nos fins d’après midi, et se jouaient tantôt entre petits, tantôt grands et petits réunis…
L’un des plus excitants, et des plus irritants, était : « Le premier au fond du jardin !!! » . Mal défini, vous comprendrez pourquoi, il consistait à démarrer au signal à l’entrée de la grande allée pour courir de toutes ses forces jusqu’au portail vert, sur lequel on venait littéralement s’écraser en riant ou râlant !!!
Naturellement lieu de la toute puissance des grands, il consacrait inéluctablement leur victoire, le seul enjeu étant d' être le premier des grands ou le moins dernier des petits !!!
Or, comme dans la fable, il advint une fois que les tortues, s’évertuant, démarrant en trombe, donnant tout de leur souffle et de leurs gambettes, parvinrent à battre les lièvres, et à atteindre en premier le portail.
Et là! se retournant, radieux d’une victoire si chèrement gagnée, les premiers, dont j’étais, entendirent cette chose inouïe, scandaleuse, ironiquement, et ( à notre insu) éminemment biblique :
« Aujourd’hui, changement de la règle !!!…Le premier au fond du jardin, ce sera le dernier !!! »
Bien entendu cette injustice, cette insolence arbitraire, si elle nous indigna longtemps, ne nous empêcha nullement de continuer à nous accrocher aux baskets des grands, et à tenter encore et encore d’être « les premiers au fond du jardin » !!!

J’ai souvent pensé à ce souvenir lorsque je fréquentais les écoles, leurs enfants, les « maîtres », les réunions des parents….
J’y pense aussi en écoutant vivre mes petites filles .
J’y pense comme au symbole de la toute puissance des grands, puis des adultes, sur les enfants, et parfois l’étendue de ce pouvoir m’angoisse vaguement, tandis qu’il me semble comprendre les colères, les rages, les révoltes impuissantes des petits, se heurtant à l’évidence que le pouvoir de juger, de décider ne leur appartient pas…



Souvent bien sûr, il n’appartient pas non plus aux grands, mais les enfants ne le savent pas….

Publié dans "Histoires de quand j'allais à l'école"




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lundi 5 avril 2010

Démenti

J’avais écrit en février un texte, en empruntant à Chateaubriand, sur « le chant naturel de l’homme… »
« J’écoutais ces chants mélancoliques, qui me rappelaient que dans tout pays le chant naturel de l’homme est triste même lorsqu’il exprime le bonheur. Notre cœur est un instrument incomplet, une lyre où il manque des cordes et où nous sommes forcés de rendre les accents de la joie sur le ton consacré aux soupirs… »
(René)

Aujourd’hui j’en écrirai ici un démenti!!!
Car nous venons d’écouter le chant de Raul Barboza , si bien ancré dans la tradition guarani, et si plein de sérénité joyeuse...
Et aussi la voix de Guillaume Lopez, et l’accordéon de Thierry Roques et la batterie de leur complice Pierre Dayraud….


Et leur chant du monde n’est pas triste, il est même assez jubilatoire !!!
Même s’ils reprennent une tradition, y compris celle de la boha, dont j’aime peu le son
que je trouve souvent éprouvant pour les nerfs…
Comme le dit Thierry Roques : « Sait-on que la bourrée peut aller à la transe ? »
Je pensais alors à la Tarentelle, (que j’aime particulièrement) et qui délivre des fièvres malignes provoquées par la piqûre de la tarentule …


Oui !!! avec Thierry, Guillaume et Pierre, la bourrée peut aller jusqu’à la transe, mais une transe joyeuse, une transe de jubilation….

Pourquoi malgré leur ancrage dans la tradition, ne ressent-on pas ici cette tristesse profonde des chansons populaires ou des musiques des traditions rurales ?
Parce que Thierry et Guillaume sont eux-mêmes et transfigurent cette musique par le rythme insolent de leur soufflet, de leur souffle, de leur voix ou de leur batterie, leur vitalité débordante, leur humour « l’air de rien »?
Parce que leur batteur les entraîne loin des bourrées ?


Ou peut-être parce qu’ils échappent à l’enfermement des « pais », des vallées encaissées, des campagnes encloses, par des « somi (s)» migrateurs, des envols divagateurs vers une "linea del sur", pour des métissages plein de soleil, qui leur assurent une énergie renouvelée ?
Peut-être parce que, quoique riches de tradition, ils ne sont en rien traditionnels, ils débordent, transforment les us du folklore, parce qu’ils sont « Modernes » et « donnent un son nouveau aux sons accoutumés »…


Pour toutes « les grenades » dont les mots se jouent, voici en prime un petit texte saugrenu de Paul Valéry :

Dures grenades entrouvertes
Cédant à l’excès de vos grains
Je crois voir des fronts souverains
Éclatés de leurs découvertes !

Si les soleils par vous subis,
O grenades entrebâillées
Vous ont fait d’orgueil travaillées
Craquer les cloisons de rubis,

Et que si l’or sec de l’écorce
A la demande d’une force
Crève en gemmes rouges de jus,

Cette lumineuse rupture
Fait rêver une âme que j’eus
De sa secrète architecture…

Ouahhh !!!!